Alcooliques anonymes. Pour la vie – Pontivy

Mardi soir, les portes de la section des Alcooliques anonymes de Pontivy se sont rouvertes après dix ans de sommeil. Une soirée de retrouvailles, empreinte d’émotion et de sincérité. Entre drames et joies. Nous y étions. Reportage.

 

Soudain, un homme surgit dans la nuit. Il est le guide, à l’angle de la rue Paul-Valéry. Ses signes de la main suffisent pour éclairer les quelques égarés à la recherche de la maison paroissiale, nichée en contrebas. C’est là que tout se passe et lui, c’est Jean-Pierre (*), modérateur de cette première des Alcooliques anonymes depuis dix ans dans la ville. Sur le parking, ça se claque la bise. Ça se sert la pogne. Dans la pénombre, le silence est d’or : la parole se libérera un peu plus tard. Charriant avec elle l’émotion de vies cabossées. Et l’enthousiasme du droit chemin, souvent retrouvé.

 

Le whisky du soir

Dans la salle, Jean-Pierre entame alors son discours de bienvenue. « Bonsoir, je m’appelle Jean-Pierre, et je suis alcoolique ». « Bonsoir, Jean- Pierre ». Il poursuit : « Pour cette grande première, nous sommes fébriles. Un peu comme des jeunes mariés. Mais il y a du monde à la noce ».

Premiers rires. Et première question. « Y a-t-il d’autres alcooliques dans la salle ? ». 18 mains, parfois hésitantes, se lèvent. Puis se rabaissent, un peu las. Autour de la table, les membres viennent d’un peu partout : Pontivy, Lorient, Quimper, Saint-Brieuc. Il y a un peu plus d’hommes que de femmes. Et les tempes sont grisonnantes. Mais pas toutes : quelques trentenaires sont également là pour rappeler que la bouteille n’a pas d’âge.

Pour ces retrouvailles, le thème est annoncé : « Alcooliques anonymes, un programme pour une nouvelle vie ». Jean-Yves conte alors sa chevauchée libératrice. « Mes problèmes sont arrivés à la quarantaine, lorsque je prenais un whisky chaque soir en rentrant du boulot. Puis les choses ont empiré. Cela s’est terminé en delirium tremens et crises d’épilepsie. L’hôpital m’a sauvé, mais les AA m’ont permis de tenir. Dieu merci ». Les « AA » : l’abréviation courante pour Alcooliques anonymes.

 

Le bistrot d’en face

Au tour de Fabrice. Sa voix chevrotante porte en lui les stigmates de ses galères. « J’ai enchaîné les cures. Après une d’entre elles, je me souviens m’être retrouvé devant le car pour rentrer chez moi. Quatre heures d’attente, à Carhaix. Au bout d’une heure, j’étais au bistrot d’en face. Puis, je suis allé aux AA. Au début, j’arrivais rétamé aux réunions. Mais en y sortant, je ne buvais pas. Je revenais à la maison pour me coucher sans prendre un verre. Bien sûr, il faut beaucoup de réunions pour voir le bout. Et un 20 novembre, j’ai réussi à tout arrêter. Et aujourd’hui, je suis très, très heureux ». Une nouvelle existence s’est offerte à lui, comme pour Roger, « pur produit AA. J’ai arrêté grâce à l’association. Je n’ai pas eu besoin de la médecine. Aujourd’hui, je vis une nouvelle vie et découvre des choses merveilleuses ».

 

Le père, le fils et le sain esprit

Gérard, lui, a récupéré plus qu’une vie. « Après neuf mois d’abstinence, j’ai retrouvé mon fils ce week-end. Ma fille était là aussi. Et j’ai même eu, dans la foulée, un coup de fil de mon ex-femme. Grâce à vous, grâce au programme ». Le programme, Éric veut s’y tenir. Mais ses démons escortent encore ses pas. « Je suis franc comme mec : là, j’ai picolé. J’ai bu avant de venir. Mais il est temps que j’arrête. Ou sinon, c’est la mort ».

La grande faucheuse. Elle a accompagné les discours de chacun. Comme celui de Gisèle, sobre depuis 28 ans. « L’association m’a sauvé la vie : c’est vous, mon médicament. Quand je suis arrivée aux AA, j’étais en train de crever ». Au tour de Jean-René de livrer son histoire. Frappante. « Quelque temps après avoir arrêté de boire, j’ai fait un AVC. Le chirurgien m’a dit que, si j’avais continué à picoler, je n’en aurais pas eu. Je lui ai dit : ” Ah merde, si j’avais su ! “. Il m’a répondu : “Oui, car vous seriez mort depuis longtemps” ». Silence. Applaudissements. Regards dans le vague. Sourires. Et la pendule qui tourne, convoquant le traditionnel chapeau. Ceux qui veulent y mettent une petite pièce pour subvenir aux besoins du groupe. La prière de la sérénité achève la soirée. Puis place aux gâteaux. Dehors, certains se grillent un clope. Il fait froid. Trop froid : un peu plus tôt, à l’intérieur, nous n’avions jamais ressenti autant de chaleur humaine. Celle de la vie. Tout simplement.

(*) les prénoms ont été modifiés.
Paru de Le Télégramme du 15 décembre 2016, article de Pierre Bernard